Ne me plaignez pas, on me plaint toujours. On me dit que c’est un grand malheur d’être aveugle. Je ne sais pas. Je n’ai jamais vu. Ce n’est pas comme si j’avais perdu quelque chose. Seulement je n’ai pas cette chose qui semble très importante pour vous. Je ne veux pas dire que ce n’est pas très important : pour moi cela n’existe pas, tout simplement. Vous voyez, là : je goûte sur ma peau le dialogue du soleil et du vent... Pas besoin de lumière.
J’ai remplacé vos couleurs par des sons. Mais je n’entends pas, je n’écoute pas comme vous. J’ai décelé de la tristesse dans votre voix et même dans votre souffle. Et là je sais que vous souriez.
Et j’écoute de la musique. En général les gens n’écoutent pas la musique : ils l’entendent en lisant, en mangeant, en travaillant ou en faisant plein de choses. Moi quand j’écoute de la musique, je suis totalement dans l’écoute, je ne fais que ça. Je suis les pistes des mélodies et des accompagnements. J’accepte les questions et les réponses, les tensions et les détentes. Parfois je danse, j’utilise tout mon corps pour vivre le rythme et l’émotion de la musique.
Faites l’expérience : Arrêtez de mettre de la musique tout le temps. Faites silence. Et de temps en temps écoutez, vraiment, de la musique. Asseyez-vous dans un bon fauteuil, fermez donc vos yeux et écoutez Così fan tutte ou les variations Goldberg.
N'ouvrez pas les yeux ! C’est difficile ?... Vous voyez : parfois je vous plains d’avoir des yeux.