Oui je sais, mes yeux sont horribles.
Même Néron, notre empereur bien-aimé, se moque des gens aux yeux bleus dans une ode que tout Ostie fredonne. Alors je ferme mes mots et serre la mâchoire. Et je porte sans relâche les marchandises du port, à m’en casser le dos.
 
Oui je sais, mes parents ne sont pas des génies.
C’est parce que j’avais ces yeux de mauvais goût qu’ils m’ont donné ce prénom qui vient de Germanie, de ces terres barbares où les monstres qui combattent nos légionnaires ont le corps peint en bleu.
 
Oui je sais, je devrais baisser mon regard qu’on dit douteux et efféminé.
 
Eh bien malgré tout, malgré ces deux tâches infamantes, je rêve d’un autre empire, d’un autre temps. D’un impossible ailleurs où le bleu aurait été aimé, ou seulement accepté.
 
Et je lève mon regard vers toi : de quelle couleur me vois-tu ?